|
15 mai 1996, p. 14 |
|
Pour une vraie liberté de crypter par Paul
Vidonne |
La réforme du droit des télécommunications
est en cours d'examen par la représentation nationale.
Compte tenu de l'importance des enjeux financiers, la modification
du droit de crypter les messages, prévue à l'article
12 du projet de loi adopté par le Conseil des ministres du
3 avril 1996 et adopté le 10 mai en première lecture
par l'Assemblée nationale, risque de passer relativement
inaperçue.
Pourtant, la France s'apprête à mettre en place un
dispositif lourd, coûteux, ne protégeant pas vraiment
le secret des correspondances et qui, surtout, ne permettra guère
de lutter contre la délinquance. Il est encore possible de
lui substituer un système beaucoup plus simple et plus
efficace, sur le modèle de celui adopté par d'autres
pays de l'Union européenne.
L'interception et le décryptement des messages
commerciaux, diplomatiques et surtout militaires semble une prérogative
que se sont à peu près universellement arrogée
les Etats. Aux Etats-Unis, la très secrète NSA
(National Security Agency) rassemble la plus grande concentration
mondiale de mathématiciens et a mobilisé, à
elle seule, jusqu'à 2 % des dépenses de la défense
nationale, soit deux fois le budget de la CIA.
Pendant la première guerre mondiale, le décryptement
des messages allemands par le " Bureau 40 " britannique
ne fut pas étranger à la décision d'entrée
en guerre des Etats-Unis. Les soviétiques n'ont jamais été
de reste dans aucun des domaines de l'interception et du décryptement.
La France a toujours eu une forte activité en matière
de déchiffrement et aurait pu se passer d'un déchirement
national si, un mois après l'arrestation du capitaine
Dreyfus, elle avait fait confiance aux décrypteurs du télégramme
de Panizzardi.
Mais la France ne se borne pas à intercepter et déchiffrer
les messages d'autrui, comme le font nombre d'autres pays. Elle se
particularise par une interdiction très stricte de crypter
tout message et d'user, fournir et exporter tout moyen de
cryptologie. Depuis la loi du 29 décembre 1990, elle tolère
tout au plus le cryptage de la signature et de la certification
d'intégrité des messages, sur déclaration préalable
auprès d'un service du Premier ministre, mais ne permet
toujours pas le chiffrement du message lui-même, qui doit être
transmis en clair. La loi prévoit bien que le cryptage du
message peut-être accordé sur autorisation préalable,
mais cette autorisation ne semble jamais donnée en matière
commerciale ou privée.
Pour répondre au besoin pressant des entreprises et des
citoyens d'échanger des informations confidentielles, le
projet de loi annonce un revirement. L'utilisation de moyens de
cryptage, en vue d'assurer la confidentialité des messages
eux-mêmes, deviendrait libre si lesdits moyens n'utilisaient
que des clefs " mises sous écrou " auprès
d'organismes agréés, les " notaires électroniques
" ou " centres de confiance ", et selon les procédures
définies par ces derniers. Naturellement, ces clefs
devraient être communiquées ou mises en oeuvre à
la demande des autorités judiciaires, ce qui est légitime,
ou des autres autorités habilitées, dont la liste
n'est pas donnée.
Ce principe général de liberté est immédiatement
atténué, voire annulé, par la suite de la rédaction
de l'article 12, où l'on peut lire que l'agrément
des centres de confiance est assorti de la liste des moyens ou
prestations de cryptologie que ces centres peuvent utiliser ou
fournir. La raison bascule : les notaires électroniques ne
se contentent plus d'être les dépositaires des clefs,
ils deviennent les fournisseurs et donc les garants des moyens de
cryptage utilisés.
De quelle garantie seront-ils les dépositaires ? Celle de
la certitude donnée à chacun de l'inviolabilité
de sa correspondance, ou celle donnée à l'Etat du décryptement
facile des messages privés ? Les rapports relatifs de la
société civile et de l'Etat étant en France à
peu près l'inverse de ce qu'ils sont aux Etats-Unis, la réponse
ne fait guère de doute. La solution française sera à
l'opposé du droit au secret qui prévaut outre
Atlantique.
Quelle sera l'efficacité de ce système déclaratif
" à la française " ? A l'heure où
chacun peut se procurer gratuitement sur Internet le logiciel PGP
(Pretty Good Privacy), réputé inviolable, imagine
t-on sérieusement que la mafia ou un réseau pédophile
utilisera un logiciel de cryptage fourni par un " centre de
confiance " et, de plus, lui remettra spontanément des
clefs de codage qu'elle ne changera jamais ? Le système
projeté risque bien de n'être mis en oeuvre que par
les citoyens honnêtes, dont les autorités n'auront
justement jamais besoin de décrypter les messages. Il est
en revanche fort à parier que ce système entraînera
de nouvelles formalités et surtout de nouveaux coûts
pour les entreprises.
Un système de contrôle, a posteriori, serait
beaucoup plus simple et beaucoup moins coûteux à
mettre en place. La liberté de crypter, laissant aux seuls
utilisateurs le choix des moyens, serait compensée par
l'obligation de communiquer les systèmes et clefs de
cryptage à la requête de toute autorité
judiciaire. Le refus explicite de communiquer serait très sévèrement
réprimé, comme la perte ou l'oubli des clefs, qui
seraient présumés de mauvaise foi.
Les pays qui ont mis en place un tel contrôle ne
connaissent pas de criminalité particulière au
regard de la communication. La France peut encore montrer qu'elle
sait imaginer des réformes libérales, économiques
et utiles.
Paul Vidonne est vice-président de la Compagnie
nationale des experts judiciaires en informatique et techniques
associées.
UNIVERSITAIRE
| CONSULTANT | EXPERT
| RETOUR ACCUEIL
CLEFS PUBLIQUES PGP |
REIGNIER | DOMAINE
PRIVE
Copyright © 1997-2002 Paul
Vidonne Consultant, All Rights Reserved.
Empreinte : 7E7C 87DE 2741 9B4D C48A 185A 9D6A CF76 75BF C09D
|