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Entre juge et parties

Profession : expert en informatique Un conciliateur à une époque où les litiges informatiques ne cessent d'augmenter

UN LOGICIEL informatique pourra-t-il un jour devenir, tel le tableau de Van Gogh Le Jardin d'Auvers, le sujet d'une polémique fleuve entre experts ? Peut-être. A l'instar du monde de l'art, l'informatique a elle aussi ses experts et ses batailles d'experts. Regroupés pour la plupart au sein de la Cnejita (Compagnie nationale des experts judiciaires en informatique et techniques associées), ils sont 268 en France à porter ce titre.

Comme leurs confrères des autres spécialités, c'est à la demande d'un juge qu'ils interviennent pour sauvegarder des preuves ou pour donner au magistrat un éclairage technique. « En matière civile, nous avons affaire à deux grands types d'actions, l'inexécution de contrat et la contrefaçon », explique François Wallon, expert judiciaire en informatique et en bureautique.

Dans le premier cas, une entreprise reproche, par exemple, à la société de conseil à laquelle elle a fait appel de ne pas lui avoir fourni les prestations commandées. Retard dans les délais de livraison, vices et dysfonctionnement de systèmes informatiques, moindre performance des équipements... rentrent dans cette catégorie. Les litiges au civil portent aussi sur des cas de contrefaçon de logiciels, de sites Internet, d'atteinte à la propriété intellectuelle.

« Au pénal, poursuit François Wallon , nous intervenons dans des affaires de toutes sortes mettant en cause des criminels disposant de matériel informatique. » Vol de fichiers commerciaux, fraude aux cartes bancaires, vente d'armes, pédophilie, autant de délits dont on peut retrouver les preuves en explorant disques durs et fichiers effacés. Et les délinquants n'échappant pas à la généralisation de l'usage des nouvelles technologies, il n'est pas étonnant que le matériel informatique se retrouve de plus en plus souvent comme élément de preuve dans les affaires pénales.

« La nature des litiges suit incontestablement l'évolution des techniques et des moeurs, confirme Paul Vidonne, expert judiciaire en informatique et vice-président de la Cnejita . Autrefois, les litiges intervenaient surtout entre grandes entreprises. Aujourd'hui, petites entreprises et particuliers n'hésitent plus à s'engager dans une procédure de justice. Les affaires sont plus diversifiées, le pénal augmente et Internet a ouvert un nouveau champ de litiges. »

Ce qui ne change pas, en revanche, c'est le rôle de l'expert. Dans tous les cas, il ne doit jamais porter d'appréciation d'ordre juridique ni préjuger. C'est un technicien, pas un homme de loi. Et c'est d'ailleurs sur sa connaissance d'une spécialité qu'il est habilité à porter le titre d'expert judiciaire. Un titre et rien de plus car être expert judiciaire n'est pas un métier. Pour accéder à ce titre, il faut justifier d'une bonne dizaine d'années d'expérience et prouver que l'on ne compte pas vivre de cette activité. Le postulant expert constitue un dossier qui est examiné par le procureur du tribunal de grande instance de son lieu d'activité ou de son domicile.

Chaque année, en fonction des besoins, un ou deux experts sont nommés. A raison de deux ou trois expertises judiciaires en moyenne par an et par expert rémunéré sur une base horaire de 500 francs en moyenne, il est évident que cette fonction s'inscrit en complément d'une autre activité professionnelle . « De toute façon, c'est parce que l'on exerce un métier à côté que l'on peut être un expert », insiste Paul Vidonne.

Comment, en effet, pouvoir être compétent dans un domaine sans cesse en évolution si l'on n'est pas sur le terrain ? La plupart des experts judiciaires sont donc des professionnels de l'informatique travaillant dans des entreprises du secteur, ou des professeurs d'université. D'autres concilient expertises judiciaires et expertises privées. A la tête de cabinets de conseil, ils interviennent à la demande des avocats d'une des parties ou sont appelés en mission par les deux parties pour régler à l'amiable les litiges commerciaux. Leurs honoraires sont libres. « C'est un petit monde, reconnaît Paul Vidonne, où le même expert peut se retrouver le lundi expert judiciaire et le mardi expert-conseil. »

D'autres, comme Daniel Duthil, directeur de la revue Expertises, évoquent le risque de connivence, non sans rappeler toutefois l'existence d'un code de déontologie, que tout expert sérieux est censé respecter et dont certains organismes comme la Cnejita se veulent les gardiens. « L'expert doit savoir refuser une mission s'il a un lien avec une ou plusieurs parties », précise Daniel Duthil. Convocation, organisation de réunions, collecte et gestion des pièces, note aux parties et rapport d'expertise, la procédure de l'expertise est longue (4 à 5 mois en moyenne) et chère. « Les litiges entre grandes entreprises ne conduisent pas souvent à des procédures judiciaires, mais se résolvent bien souvent par des méthodes alternatives », constate Daniel Duthil. La médiation et la conciliation constituent de plus en plus un nouveau champ d'activité pour les experts. Loin des tribunaux et de ses batailles.

Catherine Rollot
Le Monde daté du mercredi 24 mai 2000

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